UNE APPROCHE INTEGRATIVE AUTOUR DES ETATS DE CONSCIENCE
 ET DES PROCESSUS DE TRANSE

Vers une approche intégrative des états de conscience

Dans le domaine du soin somatique, de nombreuses études scientifiques montrent que les états de conscience modifiés ou élargis trouvent naturellement leurs domaines d’application comme dans la prise en charge de la douleur. 

Dans le domaine de la thérapie, faire appel à la méditation, l’hypnose, l'EMDR ou encore la respiration holotropique est une manière de mettre les différents états de la conscience au service de l’évolution possible de chacun. 
Notamment lorsque les mots ne suffisent plus, comme dans le cas du psycho-traumatisme, l'expérience d'états élargis de conscience permet de contacter les parts souffrantes inscrites profondément dans le corps et ses mémoires. 
Proposer au patient de se relier à un nouvel espace de conscience, c’est alors lui ouvrir de nouvelles ressources et possibilités. Cet espace regorge d’informations que les thérapeutes apprennent, par l’expérience, à percevoir et à manier dans une perspective thérapeutique.

Une approche intégrative autour des états de conscience, loin d’être un empilement de techniques, se pratique comme un art :  un art de la présence, un art de la communication et de la relation, un art du voyage intérieur, un art du « pas de deux » comme l’est tout accompagnement. Le thérapeute, par sa propre capacité à diriger sa conscience et par sa qualité de présence, ajuste d’autant mieux ses interventions aux besoins du patient.

Etats de conscience ordinaires ou non ordinaires ?

On parle de « conscience » en faisant référence la plupart du temps à l’état de conscience ordinaire, celui dans lequel nous pensons être la majeure partie de notre existence, celui qui constitue la conscience de nous-même et de notre réalité quotidienne. Cet état de conscience est par défaut considéré comme principal. On définit par rapport à lui tous les autres états que l’esprit humain est capable d’expérimenter. De ce fait on parle d’états de conscience modifiés ou élargis ou non ordinaires pour ces états alternatifs à la conscience « classique ».

Nous faisons pourtant quotidiennement l’expérience d’états de conscience spontanément modifiés. Chaque jour, et plusieurs fois par jour, notre état de conscience fluctue et nous permet d’expérimenter des niveaux de perception différents : être dans la lune, rêver, rêvasser, s’absorber dans une livre ou dans un film, planer en écoutant de la musique, s’étourdir en dansant sur des rythmes endiablés…Les émotions (tristesse, joie, colère…) sont autant d’expériences intérieures qui modifient également notre façon « de voir les choses », c’est à dire de percevoir le monde et d’interagir avec lui. Les rêves, la transe hypnotique, les états de relaxation, l’état sophronique, la méditation, la créativité artistique font aussi partie des expériences possibles, naturelles et non pathologiques de notre conscience.

Ces brefs moments de « trans-conscience » appelés aussi traditionnellement "transes" nous permettent de nous évader, de se libérer un moment de nos pensées automatiques et de notre fonctionnement mental habituel. Un état modifié ou élargi de conscience désigne donc un état mental différent de l’état de conscience ordinaire, ce qui permet un changement dans l’expérience subjective ou dans le fonctionnement psychologique par rapport au fonctionnement dit ordinaire de la conscience à l’état de veille.

Un fonctionnement cérébral particulier ?

Sur le plan neurophysiologique, ces états correspondent à un ralentissement des ondes électriques du cerveau : si l'on portait en permanence un casque à électrodes qui mesure l'activité électrique de notre cerveau (EEG), nous pourrions vérifier que l'on expérimente, chaque jour, de multiples états de conscience, chacun correspondant à l'émission d'ondes cérébrales différentes, d'une gamme de fréquence particulière (mesurée en hertz).

Notre cerveau émet surtout des ondes rapides, dites bêta (de 12 à 30 Hz), lorsqu'il est en veille active. Lors d'une activité intellectuelle et mentale plus importante, on observe l'apparition d'ondes gamma spécifiques (vers 40 Hz).  Alors qu'en relaxation légère ou éveil calme (assis dans son canapé yeux fermés par exemple), ce sont des ondes alpha (de 8 à 12 Hz) qui dominent. Les ondes thêta (4 à 8 Hz) quant à elles, correspondent à la relaxation profonde. Enfin, en sommeil profond, les ondes sont majoritairement de type delta (de 0,5 à 4 Hz).Cette variabilité de l’activité électrique du cerveau nous permet finalement de parler d’une multitude d’états qui coexistent en parfaite continuité chez l’être humain.

Des états de conscience provoqués

Or ces changements de fonctionnement cérébral peuvent être volontairement provoqués. Il est possible de passer d’un état à l’autre en acceptant d’y prêter attention et d’explorer sans jugement ces perceptions alternatives qui deviennent alors autant de possibilités d’exploration de parties inconnues de nous-mêmes. Depuis des millénaires, les moines bouddhistes ou les chamans, entre autres, ont appris à maîtriser leurs états de conscience en modulant leurs ondes cérébrales par la transe, l’état extatique ou la méditation profonde. De nos jours, d’autres méthodes telles que la relaxation, la sophrologie, l’hypnose, la méditation de pleine conscience permettent à chacun d’explorer l’intérêt et les bénéfices de ces « changements de perception ».

Des états de conscience qui soignent

De plus, leur utilisation dans un cadre médical et thérapeutique est particulièrement féconde. Les résultats sont là, les recherches sur ce sujet se multiplient et la médecine occidentale s’ouvre à certaines de ces pratiques. Des ponts se créent aujourd’hui entre certaines traditions et les découvertes scientifiques. Ainsi la méditation dite de pleine conscience, traduit de l’anglais « mindfulness », est une pratique qui existe depuis des milliers d’années et qui constitue la pratique de base des différentes méditations bouddhistes. Elle s’est popularisée ces dernières années dans nos sociétés occidentales et a même fait son entrée dans une dizaine d’hôpitaux en France, comme à Strasbourg qui a créé le premier diplôme universitaire de « Médecine, méditation et neurosciences » s’adressant à des médecins, psychologues, scientifiques.

Des études de Richard Davidson de l’université de Wisconsin-Madison, aux États- Unis, ont montré que les moines bouddhistes expérimentés produisaient, en méditant, près de 30 fois plus d’ondes gamma (activité mentale intense) que les débutants. Cela étant, la méditation de pleine conscience n’est pas une technique ayant pour objet la modification de l’activité cérébrale mais une manière d’être et une façon de voir qui recèle de profondes implications pour la compréhension de la nature de notre esprit et de notre corps (Kabat-Zinn). Aujourd’hui, certains considèrent cette forme de conscience comme une compétence psychologique à part entière (Shapiro, Carlson, Astin et Freedman).

L’hypnose quant à elle module les circuits cérébraux de la perception de la douleur, comme l’a montré l’équipe de Marie-Élisabeth Faymonville en Belgique. Ses recherches permettent d’affirmer que les patients sous hypnose activent, au niveau du cerveau, un réseau qui permet de mieux gérer la douleur, ce qui réduit de façon importante la perception et le désagrément liée à la douleur.  Ces résultats ont favorisé l’introduction de l’hypnose à l’hôpital, notamment au bloc opératoire, combinée à une anesthésie locale et à une sédation légère. 

L'étude de la transe a également beaucoup avancé sous l'influence de Corinne Sombrun, ex-compositrice et reporter formée dans la plus pure tradition par une chamane de l'ethnie des Tsaatans, dans le nord de la Mongolie, aux confins de la Sibérie. L'histoire de son initiation a d'ailleurs été racontée par la réalisatrice Fabienne Berthaud dans le film « Un monde plus grand », sorti en 2019, avec dans son rôle Cécile de France. Suite à cette initiation, Corine Sombrun va tenter de comprendre et de faire reconnaître, dans le monde occidental, la pratique de la transe qu'elle maîtrise. Elle contacte pour cela des laboratoires scientifiques. A l’époque, les mécanismes neurophysiologiques à l’œuvre dans ce type de transe sont très peu connus. On disait même des chamanes qu’ils étaient des simulateurs. Corinne Sombrun se prête à des études menées sur son cerveau, de l’électroencéphalogramme à l’imagerie cérébrale par IRM quand elle déclenche cet état de transe . Les recherches concluent que la transe est bien un état modifié de conscience non pathologique. Des publications scientifiques montrent que la transe modifie les circuits du fonctionnement cérébral. Avec ces années de pratique en Mongolie, Corine Sombrun avait perçu à quel point pendant cet état de transe on ressentait moins la douleur, on avait plus de force, et on avait accès à des informations. Ces avancées sur ce qui s'appelle désormais la transe cognitive permettent d'entrevoir le potentiel thérapeutique de ces états: par exemple, dans le cas de traumas, la transe permettrait de les faire réémerger, de les retraverser pour, les réparer. Elle permet également d’accéder à une perception plus ouverte sur son environnement, moins centré sur soi. Enfin elle donne accès à une intelligence plus intuitive. C’est cette "Diagonale de la joie ": un nouveau rapport au monde et à soi. 
Dans le sillon de ces résultats scientifiques prometteurs, l'université de Paris 8 a créé depuis septembre 2022 un DU sur les phénomènes de transe, en mettant en dialogue les connaissances en psychologie, anthropologie, neurosciences, médecine, sociologie, etc.

Transe hypnotique, pleine conscience et transe cognitive sont donc aujourd’hui des niveaux de la conscience dont on valide scientifiquement l’existence et l’intérêt thérapeutique.
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